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les infiltrés de l'umps

  • Philippe Breton est un menteur

    Philippe Breton est un menteur

    par Laurent Chemla

    Une conférence comme beaucoup d’autres. L’auteur d’un livre un peu polémique vient faire partager sa thèse avec un public venu là pour l’écouter et le voir, quoi de plus banal.

    Et la conférence donnée par Philippe Breton[1], chercheur en sociologie au CNRS et professeur à la Sorbonne, sur son dernier ouvrage Le culte de l’internet ne trahissait pas le genre : un plan bien rôdé, des « petites phrases » idoines pour faire rire le public aux moments prévus, un discours tout ce qu’il y a de plus convaincant et que j’oserais résumer ainsi :

      Il existe un réel besoin de débat social autour d’Internet et de ses usages comme autour de toute nouveauté technologique. Un débat rendu impossible parce que le discours qui entoure le sujet de ce débat inéluctable est fait de béatitude ou de rejet viscéral, l’un comme l’autre venant de personnes qui ne sont pas en état d’accepter la contradiction.

      Les premiers font d’Internet l’objet d’une idôlatrie qui les conduit tour à tour à affirmer son inéluctabilité pour des raisons quasi-religieuses (réunion du genre humain, fusion des esprits, village planétaire) ou financières (il y a trop d’argent en jeu pour seulement débattre de la possibilité qu’il disparaisse).

      Les seconds sont des technophobes qui rejettent en bloc l’outil tel qu’il est présenté, notamment en raison de cette inéluctabilité présente dans le discours publicitaire.

      Philippe Breton entend donc creuser une troisième voie, critique mais raisonnable, de l’outil et de ses applications, en dehors de toute idôlatrie, du haut de ses diplomes et de sa spécialisation dans la sociologie dela communication. Une voie qui permettrait enfin de sortir Internet d’une idéologie qui lui semble dangereuse parce qu’elle est utopique et amène à des comportements contre-productifs dans l’usage même de l’outil.

    Voilà donc sur quoi est basé le discours de l’auteur. On applaudirait à deux mains si l’on avait lu un autre ouvrage du même auteur : La parole manipulée, dans lequel il démonte un certain nombre des techniques de manipulation d’un auditoire.

    Et il faut bien se rendre à l’évidence : ces techniques qu’il dénonce comme dangereuses lorsqu’elles sont utilisées dans la communication politique, Philippe Breton les utilise toutes, ou presque, lorsqu’il s’agit de convaincre son auditoire d’un soir. À croire qu’il n’est pas capable d’appliquer à lui-même la rigueur qu’il demande aux autres.

    Car son discours est basé sur un mensonge par omission, très certainement volontaire de la part d’un auteur qui a écrit déjà deux ouvrages de référence sur le sujet, puis sur un artifice rhétorique de bas étage pour étayer un discours dont je dois constater l’inanité, le vide, l’inintérêt profond.

    Le mensonge par ommission est simple : oui Internet est inéluctable, mais pas pour les raisons que fournit Philippe Breton à son auditoire d’un soir.

    Les raisons qu’il donne sont les raisons que lui a choisi de donner parce qu’il sait pouvoir les réfuter aisément. Ce sont des raisons existantes dans le discours qui entoure Internet, c’est vrai, mais ce ne sont pas les seules. Ce sont seulement les seules qu’il puisse démonter aisément :

      Internet fait l’objet d’un discours quasi-religieux Oui, c’est vrai, certains illuminés surmédiatisés que cite P. Breton (Lévy, Quéau) ont un discours qui n’est que fantasmatique. Mais il s’agit d’une poignée de personnages dont les paroles ne sont prises au sérieux par personne, sauf par Philippe Breton lui-même et par les quelques médias en mal de sensationnalisme dont il semble tirer toutes ses informations.

      Internet est intouchable parce qu’il est source de trop d’espoirs de profits financiers. Oui ce discours existe et oui il est stupide parce qu’on n’interdit pas un débat de société pour des raisons financières.

    Mais non ces deux aspects superficiels du discours qui entoure Internet ne sont pas les seuls qui soient, loin de là. Ils sont même sans doute les deux arguments les moins utilisés et les moins écoutés. Le simple fait que Philippe Breton néglige (volontairement à mon sens) les réels arguments qui font d’Internet autre chose qu’un « simple outil de plus qui simplifie des tâches préexistantes et qu’il faut considérer comme tel et comme rien d’autre » est significatif d’une manipulation.

    Philippe Breton ne s’adresse pas à un public averti. Il parle à des gens qui n’ont ni la formation ni les compétences techniques pour voir les failles de son discours. Mais elles existent et, encore une fois j’insiste, de la part de quelqu’un qui sait si bien ce qu’est la manipulation dans la communication d’une part et si bien ce que représente Internet d’autre part, il ne peut s’agir d’une réelle volonté de manipulation.

    Il existe bel et bien des raisons qui font qu’Internet est inéluctable. Elles sont discutables, comme toutes les raisons, mais elle sont bien plus difficile à réfuter que les caricatures utilisées par Philippe Breton :

      Internet répond à un besoin social. Loin de la « communication » dont parle Philippe Breton et qui dans son discours est limité soit à un dialogue (le courrier électronique) soit à la diffusion de masse (le web), il existe grâce à Internet des outils permettant à des groupes humains partageant des passions communes de se rencontrer. Des outils dont aucun équivalent n’existait avant Internet (expliquez-moi donc comment j’aurais pu faire la connaissance de la majorité des amis d’âges, de cultures, de lieux de vie et de langues différents de la mienne sans cet outil). Certes ces rencontres sont virtuelles dans un premier temps, mais elle ne le restent jamais bien longtemps.

      Internet répond à un besoin structurel. La somme de connaissance de l’humanité a atteint un seuil à partir duquel un outil nouveau devenait nécessaire à la diffusion des savoirs. Internet est l’outil idéal pour ça, ou en tous cas il peut le devenir facilement : après tout il a été prévu pour ça. Tout y est basé sur le partage du savoir. La logique même du Web, et l’importance innovatrice des liens hypertextes, crée quelque chose de neuf dans ce domaine, qu’on ne peut rapprocher d’aucun outil préexistant. Que Philippe Breton opine lorsqu’on lui dit qu’après tout Internet n’est rien d’autre que le remplaçant « un peu plus pratique de nos anciennes ronéos » montre à l’évidence qu’il passe à côté de phénomènes sans précédent dans le domaine de la communication, et qui ont une importance sociologique que lui, d’abord, devrait relever. Et qu’il oublie.

      Et surtout, surtout, Internet permet l’exercice réel d’une liberté fondamentale jusque là confinée à des textes fondateurs mais jamais réalisée : le droit à la liberté d’expression pour tous et sans restriction de frontière tel qu’il est défini dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Et oui : je parle bien d’expression et non pas de simple « communication ». Ce mot-là, « expression », est étrangement absent du discours de Philippe Breton.

    Ces raisons là, notre sociologue se garde bien de les citer. Il ne peut les ignorer, mais elles sont en effet difficilement réfutables, parce que la démagogie ne permet pas de les contourner aussi facilement que les seules raisons qu’il cite lui. Et je ne parle même pas des raisons techniques qui font que, quel que soit le résultat du débat national souhaité, il sera toujours possible à un citoyen quel qu’il soit de se connecter à Internet, y compris s’il doit pour cela se connecter à un fournisseur d’accès étranger.

    Qu’à moins de fermer nos frontières à toute forme de communication hertzienne, satellitaire, filaire et j’en oublie, Internet ne peut pas être fermé, ni même interdit d’accès à quiconque, ni filtré de manière efficace quoi que Philippe Breton ait (mal) compris des avis d’experts rendus lors du procès Yahoo.

    Oui Internet est inéluctable. Oui on peut et on doit débattre de ses usages et de son influence sur la société (et nombreux sont les acteurs du réseau qui réclament ce débat là depuis des années, n’en déplaise à notre messie autoproclamé), mais baser son discours sur le fait qu’il n’est pas trop tard pour décider de la nécessite d’Internet est un mensonge par omission. Et pas un petit mensonge, mais un bon, gros, beau mensonge.

    Mais je n’écris pas tout ceci pour dénoncer un mensonge. Pas seulement.

    Philippe Breton est, je l’ai dit, chargé de recherche au CNRS et professeur à la Sorbonne. Il est écouté en tant que tel, et il a une responsabilité morale quant à sa parole publique et aux messages qu’il transmet.

    En affirmant haut et fort que le discours de quelques fous sympathiques est celui de tous ceux qui défendent le fait qu’Internet constitue l’embryon d’une évolution sociale d’envergure, en oubliant volontairement les vrais arguments qui sont derrière cette affirmation, il commet le péché même qu’il dénonce : il modifie de fait les usages futurs d’Internet en déformant, en affaiblissant l’importance sociale de cet outil.

    En se démenant, par le mensonge et le mépris, pour démontrer qu’Internet n’est « qu’un outil de communication de plus, dangereux parce que trop de communication tue la communication », il contribue à créer une image médiatique d’Internet qui est une fausse image, une image qui l’arrange et sans doute parce que (comme à tant d’autre) la réalité de la parole rendue aux simples citoyens, les lambdas démunis qui n’ont ni chaire ni éditeur pour pouvoir s’exprimer, lui fait peur. Qu’il a peur de perdre sa part du monopole de la parole publique, de ce monopole dont il vit, qui lui permet d’être écouté, publié, entendu. Lui et pas ceux qu’il dénonce par ailleurs comme des « libertaires aveugles qui font inconsciemment le jeu du marché ».

    Philippe Breton base son discours sur la critique d’un discours qu’on ne peut même pas qualifier de minoritaire tant il est délirant. Sur le discours de 2 ou 3 personnes dans le monde, surmédiatisées comme de juste par des médias qui ne parlent que de sensationnel.

    S’il s’arrêtait là je me contenterai de dire qu’il ne s’agit que d’un débat sans importance entre des fous et un menteur. Mais il ne s’arrête pas là : en usant d’un procédé rhétorique digne d’un étudiant de 1ère année des cours qu’il donne, il use de la critique d’une exception pour faire entendre un message qu’il présente comme un discours à usage général.

    En affirmant que ces fous représentent la totalité de ce qui est dit au sujet d’Internet, il présente sa réponse comme une réponse qui concerne tout le discours autour d’Internet, y compris le discours de ceux qui tiennent des raisonnements qu’il ne pourrait pas démolir par quelques procédés démagogiques du genre de celui dont il use en conclusion « vos enfants sont tous des hors la loi puisqu’ils utilisent Napster ».

    Je pourrais aussi parler de la façon dont il déforme les paroles d’autres sociologues dans le sens qui l’arrange, lui. L’argument d’autorité est vieux comme la rhétorique, et nul ne le sait mieux que Philippe Breton.

    Je pourrais encore rapporter la réponse stupéfiante qu’il a faite à une personne du public qui s’étonnait qu’un sociologue se contente de critiquer le discours plutôt que de critiquer les usages. Notre chercheur a répondu ces mots savoureux : « J’aimerais bien mais jamais je ne pourrais trouver de financement pour faire un vrai travail sur les usages, je dois donc me contenter de faire un travail sur le discours ».

    J’entendais, de ma place de simple citoyen, un scientifique me dire « Je n’ai pas les moyens de mener une recherche scientifique digne de ce nom, alors je me contente de publier des textes polémiques basés sur des paroles entendues ça et là que je considère comme la totalité du discours sur le sujet ».

    J’entendais parler un scientifique qui n’avait même pas conscience de se décrédibiliser totalement.

    Laurent Chemla



    [1] Philippe Breton, né en 1951, est professeur des universités au Centre universitaire d'enseignement du journalisme (CUEJ) à l'Université de Strasbourg. Il est directeur éditorial du site de l'Observatoire de la vie politique en Alsace

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    Et c’est ce qu’un « certain » communicant nous présente comme un « spécialiste de l’extrême droite » ? Il est temps d’écarter « Certain » !