Le développement et le changement
Le développement, et par conséquence le changement ne se décrète pas. Il suppose la convergence de multiples facteurs, matériels, institutionnels, conjoncturels, mais aussi et d'abord humains, qui demandent du temps, et dont seules les organisations, les groupes ou les individus préparés à l’idée même de changement détiennent véritablement la clé.
C’est donc par le management du changement qu’il importe de commencer pour toute actions de développement personnel, des groupes ou des organisations.
Les projets d’action collective.
L’unité d’un groupe restreint autour d’une tâche, est toujours celle d’un contenu de représentation et de valeurs et non celle d’un processus.
Un groupe a des valeurs, des intentions, une personnalité, des habitudes, des fonctionnements qui lui sont spécifiques.
On ne peut, en conséquence, résoudre un problème posé, surtout s’il est nouveau ou récurant, par une action qu’il se doit d’entreprendre ou que l’on projette de lui faire entreprendre, que par l’intégration d’éléments nouveaux à cet ensemble. En effet, un groupe assimile ou rejette des connaissances, des sentiments nouveaux et, bien évidemment, un projet en fonction de sa compatibilité avec l’organisation préétablie.
Par exemple, le processus de démocratisation voulu pour l’Irak par Monsieur BUSH semble être incompatible avec les valeurs, les intentions et la personnalité du peuple irakien.
Il convient donc d’appréhender des méthodes et des stratégies qui permettent au groupe concerné d’assimiler sans rejets les concepts nouveaux.
Considérons tout d’abord qu’un acteur se dirige vers un objet à partir de la connaissance qu’il en a et par le désir de satisfaire une attente. Connaissance et désir sont en effet les moteurs de la motivation, elle-même le moteur de l’action.
Ce sont donc des attitudes et des postures, spontanément, ou soigneusement, implantées dans les esprits d’un groupe qui vont déterminer ses comportements.
En effet, au sein des sociétés occidentales, les groupes sociaux se définissent de plus en plus à partir d’une organisation de conduites pratiques, s’appuyant sur des réseaux de relations entre les éléments qui le composent.
Nous avons dit occidentale ! Rien à voir semble-t-il avec certaines « singularités », en particulier les sociétés ou les groupes restreints qualifiés d’islamistes.
Le projet :
Pour faire s’engager l’action au bénéfice d’un projet, il faut la diriger vers l’objet qu’elle identifie par rapport et à travers ceux, exemplaires, qui en sont porteurs. Nous noterons qu’ici le terme d’exemplarité prend toute sa signification intrinsèque.
En même temps, cet objet doit être connu, analysé et défini. Le mouvement d’appropriation une fois effectué, le projet peut alors être évalué par lui même et non plus par rapport aux initiateurs. Le résultat s’exprimera ensuite en termes de renforcement si la proposition a respecté les règles d’appropriation, ou d’affaiblissement si le projet est imposé.
C’est à ce niveau que seront possibles les modifications globales, voire spécifiques du fonctionnement d’un ensemble particulier.
C’est ici également que s’appliquent les quatre « systèmes problèmes » : adaptation, visée des buts, maintien des modèles, intégration.[1]
L’action est toujours, pour une partie au moins du groupe concerné, rupture et innovation du système social qui les rassemble.
Elle appelle la reconstruction, la transformation de l’organisation sociale vers un nouvel équilibre à trouver de préférence en aval du point de départ.
Toute initiative se démarque de l’ordre établi, mais se doit de partir d’une unité sociale de départ. C’est cette contradiction qui crée les tensions. Tout projet ne sera pleinement accepté que si le dépassement de ses contradictions s’appuie sur une pratique naturelle à dominante technique plus que culturelle.
Enfin, pas d’innovations sans découvreurs, mais pas non plus de changements sans la mise en place d’organisations nouvelles qui ne soient collectivement acceptées.
Tout porteur de projet doit être pénétré de ces nouvelles donnes sociales qui prétendent que l’action doit être valorisée et naturelle, car le lien social ne se définit plus exclusivement par la participation à des valeurs communes, mais de plus en plus par « les exigences de la vie collective et le relativisme des conceptions et des principes ».[2]
Utopies et angélisme.
Mais les sociétés ou les groupes à forte dominante islamiste sont-elles concernées par ce mouvement ? L’Irak, par exemple ne possède t-il pas un système d’actions qui constitue un ensemble social intégré de conception fondamentalement différente et bien évidemment opposée à celui des Américains et pour tout dire, des Occidentaux ? Est–il sage, en conséquence, d’oser vouloir en modifier unilatéralement le fonctionnement sans s’exposer à un long processus de conflits avec des acteurs qui ont une représentation de l’action collective aussi opposée ?
Il ne nous appartient pas de porter un jugement définitif sur la méthode choisie par l’administration américaine pour que se développe l’idéal républicain et démocratique, la mondialisation des économies et l’inévitable choc des cultures, mais c’est ce choc des cultures prévisible, mal anticipé, qui restera non maîtrisé, et qui nous semble porteur des plus grandes menaces que l’humanité ait connu.
Que pourrions nous faire pour enrayer l’infernale mécanique et orienter différemment le sens de l’histoire ?
L’Europe, en tant que telle, nous semble mal engagée pour proposer des solutions alternatives.
La France et l’Allemagne si elles ont su parfaitement jouer un rôle de contradicteurs, ne sont pas en mesure de conduire, ensemble, une action, un projet, en sens opposé car ces pays n’ont pas encore imaginé un tel scénario.
Des solutions existent pourtant, elles existent toujours. Nous en avons abordé la trame : le respect des peuples, de leurs représentations et de leurs valeurs, en est la clé de voûte. A partir de ce postulat, les méthodes et les moyens brièvement exposés coulent de source.
La France, encore auréolée, en terre d’Islam, d’une certaine crédibilité est en mesure de montrer la voie et de proposer un projet.
Le fera t-elle ?
F.NERI
5 09 05
[1] Les dimensions du système social. T. PARSONS
[2] E.DURCKEIM