Le génie sans talent
Chacun a son entrée pour aborder l’analyse d’une problématique et chercher des réponses sinon des solutions à un problème.
Le « problème » de la France, certains l’abordent par l’économie, la finance, d’autres par la culture ou la religion, d’autres par l’écologie ou la démographie, l’immigration etc.
Peu importe, cela nous situe et indique souvent d’où l’on parle, qui nous sommes, quelles sont nos représentations, nos peurs, nos compétences.
Pour nous, systémiciens, toutes les entrées se valent. L’essentiel consiste à : « S’élever pour mieux voir, relier pour mieux comprendre, situer pour mieux agir »
Le génie sans un talent organisé n’est pas grand chose. D’autre part, l’organisation de talents multiples qui aillent dans le sens voulu est encore plus complexe. C’est ce que nous apprend, entre autre, l’approche et l’analyse systémique.
Je ne puis m’empêcher de penser, en ce moment clé de l’histoire humaine, à Alexandre le grand. Un génie avec du talent et qui mourut trop tôt sans avoir eu le temps d’organiser le nouvel univers qu’il venait de créer.
Il avait justement comme précepteur Aristote et sa logique.
Dans un passage mémorable de sa « Politique » celui-ci déclare que la tâche, la sienne et celle d’Alexandre, n’est pas de définir la forme idéale de l’Etat, mais de trouver la constitution la mieux appropriée aux collectivités humaines. Il pousse assez loin son souci du réel, consistant simplement à vouloir sans cesse améliorer les choses, disant qu’il est plus facile d’améliorer un Etat que d’en bâtir un autre.
Le génie d’Alexandre a consisté à faire les deux !
Malheureusement cette idée de vouloir faire toujours un peu plus de la même chose, ce qu’en terme de systémique on appelle un changement de niveau 1 a persisté jusqu’à Descartes qui nous a enfin apprit que le monde n’était pas immuable et qu’une cause ne produisait pas toujours les mêmes effets.
Enfin Einstein et sa vision de la complexité et de la relativité restreinte étendue à notre perception individuelle et collective, nous à fait renoncer …pour certains encore trop peu nombreux, à une vision binaire, Aristotélicienne du monde.
Vive le gris nous dit A. Korsybsky dans son traité de Sémantique Générale et il ajoute : « Le jugement négatif EST le sommet de la conscience »
Nous sommes au début d’un changement de type 2. Il est semblable à celui de l’époque d’Alexandre et il met en présence les mêmes protagonistes Orient et Occident. Le problème c’est que le principe systémique de rétroaction positive (qui amplifie les phénomènes) s’applique avec une force identique à la pression exercée depuis 2000 ans par l’Occident sur l’Orient.
Ce dernier rétroagit avec force et cette rétroaction n’est ni contrôlée, ni régulée. Personne n’a pensé poser un thermostat capable de faire baisser la pression et de rétablir l’équilibre. L’homéostasie comme dit l’ami Jean Luc !
L’ère des petits Etats indépendants était révolue au moment de la mort d’Alexandre.
A tous les points de vue, l’Hellade dont la puissance politique s’émiettait de jour en jour, ne pouvait se maintenir devant le nouvel édifice perso-macédonien. La transformation profonde des conditions économiques et sociales exigeait une refonte complète de la constitution des Etats.
Alexandre pensait laisser aux cités helléniques le soin de résoudre les problèmes d’administrations communales, mais en les englobant dans la puissance et l’autorité de son immense monarchie. Celle-ci devait dominer les constitutions locales comme une gigantesque superstructure. Seule la mort d’Alexandre, ou si l’on préfère l’individualisme inhérent au génie hellénique empêchèrent cette œuvre de porter ses fruits.
Cela nous rappelle quelque chose n’est ce pas ? Passé, présent et avenir se mordent la queue comme le serpent Ouroboros !
Alexandre voulait la fusion de l’Occident et de l’Asie et d’une certaine façon il y est parvenu, mais elle n’a pas résistée au temps.
Nous pouvons nous demander, aujourd’hui, à quel point cette fusion est encore possible.
Nous Occidentaux avons transformé le monde, il est temps de nous rendre compte que par rétroaction, le monde nous à transformé et que cette circularité des rétroactions risque de nous détruire tous.
Comment dépasser l’ère des Etats, des religions et des émotions (les problèmes religieux ne pouvant plus avoir d’autre norme que le sentiment et l’opinion des hommes), comment aller au delà de nos trois insuffisances de régulation et de contrôle ?
Voilà, selon moi, la nature de l’enjeu ! Et le défi qui nous est adressé aux uns et aux autres !
Voilà ce qu’il me semble vital de débattre partout où nous le pouvons
Francis NERI