Chers Gilets jaunes,
En quelques jours, vous avez réussi ce que personne, depuis des années, des dizaines d’années, n’avait même esquissé : vous avez donné un visage à cette France d’en bas, cette France populaire que nos élites ignorent quand elles ne la méprisent pas.
En quelques jours, nos gouvernants et tous ceux qui les servent, qui les conseillent ou qui rêvent de leur succéder – partis, syndicats, médias… - semblent découvrir cette France déclassée, souffrante, exaspérée que, grâce à vous, ils sont obligés, enfin, de regarder, de considérer.
En quelques jours, vous avez gagné à votre cause une immense majorité de Français – plus de 80% ! – alors même que, dans les palais de la République, on s’évertuait à vous discréditer, on rêvait de vous voir vous essouffler, on guettait vos premiers faux-pas.
En quelques jours, vous avez fait de la France des ronds-points un nouveau lieu de rencontres – parfois de fraternité – où les difficultés, les malheurs de chacun viennent nourrir les premiers cahiers de doléances que vous faites signer.
En quelques jours, tout en refusant porte-paroles autoproclamés, leaders consacrés par les médias, récupérateurs professionnels, vous avez imposé vos priorités – « vivre de mon travail », « respecter ce que je suis » - contre les cyniques pour qui tout est joué d’avance, tout est perdu d’avance.
En quelques jours, la « France périphérique » est devenue, sous votre pression, le nouveau bréviaire de ministres, d’élus qui, jusque-là, préféraient les dialogues convenus avec les partenaires sociaux, la « société civile » la plus policée, les associations subventionnées.
En quelques jours, vous avez démasqué ceux qui ont du mal à déjeuner pour moins de 200 euros, qui trouvent du boulot en traversant la rue, qui se plaignent qu’on claque un pognon de dingue pour les plus pauvres.
En quelques jours, vous avez redonné de la fierté aux provinciaux que nous sommes, avec notre accent, parfois nos mauvaises manières, notre façon de parler trop fort, trop haut, d’utiliser des gros mots – « le peuple », « les ouvriers », « les riches »… - de rappeler que nous sommes chez nous et que nous voulons le rester.
Mais voilà que vous êtes, maintenant, à la croisée des chemins. Pour gagner – en commençant par l’annulation des taxes à venir –, il vous faut éviter plusieurs pièges. Et répondre à plusieurs questions.
Pourquoi, alors que votre force est d’être au plus près du terrain, du bitume en l’occurrence, vous évertuer à « monter à Paris » où vous attendent ces casseurs, ces voyous qui effraient, scandalisent et révoltent à juste titre, ces meilleurs alliés de ceux qui ne s’emploient qu’à vous discréditer ?
Pourquoi, à la manière des grandes révoltes du midi viticole du passé, ne pas faire de vos mairies de véritables bastions en demandant aux maires et à leurs conseils municipaux de prendre position, de recueillir vos listes de revendications et de les transmettre aux préfets et sous-préfets ?
Pourquoi ne pas appeler tous les Français - qui vous soutiennent sans pour autant venir grossir vos rangs - à vous rejoindre en un raz-de-marée de gilets jaunes affichés à leurs fenêtres, portés dans tous leurs déplacements, dans toutes leurs activités ?
Pourquoi ne pas exiger de tous les députés, quelles que soient leurs sensibilités, qu’ils demandent, de la plus ferme des façons, au président de l’Assemblée, de les réunir en une séance solennelle – et aussi longue que nécessaire – au cours de laquelle chacun devra se prononcer sur les plus pressantes de vos revendications ?
Pourquoi ne pas inventer de nouvelles formes d’action susceptibles de gagner la sympathie de nos concitoyens qui hésitent encore à vous rejoindre ? Rappelez-vous, il y a un demi-siècle, ceux-là mêmes qui nous gouvernent ou leurs jumeaux, descendaient dans la rue, exigeant que l’imagination soit au pouvoir. Prenez-les au mot. Ne tombez pas dans leurs chausse-trappes. Votre popularité est votre première arme. Ne vous la faites pas voler !
C’est en amis – ni donneurs de laçons, ni quémandeurs de voix - que nous nous adressons à vous. Élus d’une ville et de villages longtemps abandonnés par un État centralisateur, paralysés par des notables uniquement obnubilés par eux-mêmes, oublieux de leurs promesses, nous partageons votre constat : cela ne peut plus durer. Et cela ne doit pas durer.
Salutations fraternelles.
Emmanuelle Ménard, député de l’Hérault
Robert Ménard, maire de Béziers
03 12 18