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Le systémicien - Page 450

  • Un père

    C’était en 1960, le fils faisait ses classes au camp de Carpiagne, prés de Marseille. Il apprenait le maniement des armes, à tirer juste, comment marcher au pas, obéir aux ordres et comment les donner.

    Il avait 20 ans, était fin prêt pour le bateau, l’Algérie et pour ce qu’il considérait comme une aventure.

    Le père avait 48 ans, un homme solide de taille moyenne. Il levait les yeux, très verts et très clairs, parfois très durs, pour voir son fils, un grand type au beau visage insolent. À ce moment là, on pouvait y lire de l’admiration.

    Le fils lui ne voyait rien, il venait de vivre ce qu’il croyait être le pire moment de son existence. Il se trouvait là, en uniforme, sur le trottoir devant le Palais de Justice de Marseille. Il en était sorti libre et avait peine à croire que son affaire, vielle de trois ans, trouvait enfin son épilogue.

    Lorsqu’il avait présenté sa convocation à son capitaine pour obtenir une permission,  celui-ci avait clairement montré sa déception : « Et moi qui vous ai nommé brigadier ! Il est temps que vous preniez le bateau. Je vais vous choisir un endroit à votre mesure ! »

    C’est bien plus tard qu’il comprit ce que cela signifiait en se retrouvant dans un « Commando de chasse » dans les forêts de Chênes liége prés de Collo.

    En attendant, il respirait, son père l’avait bien défendu. Il avait admis qu’il ne s’en occupait pas assez, qu’il lui laissait trop de temps libre. Il n’avait pas dit qu’il faisait deux journées pour nourrir sa famille et que l’une était du « travail au noir ».

    Bref, il disait que si son fils avait fait des bêtises, c’était de sa faute. Le reste était passé comme une lettre à la poste, trois mois avec sursis, juste pour s’être retrouvé dans une voiture volée par un autre.

    A l’époque, on ne savait pas encore ce que c’était que les admonestations et on ne plaisantait pas avec la propriété privée.

    Le père était fatigué, la lassitude et l’angoisse se lisaient sur ses traits tirés. Il avait peur pour son fils. Il pensait à celui du voisin qui n’en était pas revenu. On racontait qu’il avait été jeté dans un puits, le sexe coupé et mis en bouche de force.

    Ce fils, qu’il aimait par-dessus tout, allait prendre un bus, rejoindre le camp et demain peut être partirait-il pour toujours.

    Il s’efforçait de ne rien montrer. Il chiffonnait dans sa poche quelques billets péniblement économisés qu’il voulait lui donner. L’avocat avait coûté cher !

    Toute sa vie il avait fait face, les poings serrés, toujours levés prêt à frapper. Un dur, le « parti » seul avait longtemps compté pour lui et puis il y eut cette femme si belle et si jeune qui lui avait donné deux enfants puis, s’en était allée.

    Il avait refait sa vie, il le fallait bien et de nouveaux enfants étaient venus, le « piége » s’était refermé. De belle et insouciante, la vie était devenue harassante, le temps avait passé, son fils qui lui rappelait tant sa femme était devant lui et il partait.

    Il y eut alors un appel qui les éloigna tous deux de leurs pensées : « Et Steff, c’était le surnom du fils, viens voir un peu ! »

    De l’autre côté de la rue, un garçon leur faisait signe et le fils docile s’avançait, s’apprêtant à obéir.

    C’est alors qu’une main ferme s’abattit sur son épaule et le maintient solidement. Le fils se retourna, c’était le juge, mais en civil. Une brusque terreur le saisit et il se laissa conduire auprès du père, les jambes tremblantes.

    « Ta place est ici, avec ton père, pas avec ce voyou. Il est temps que tu comprennes si tu ne veux pas te retrouver encore devant moi » Ceci dit, il le lâcha et s’en alla.

    « Allez viens fiston, ne restons pas là dit le père, voilà ce que j’aurai du faire depuis longtemps et ce que je n’ai pas su faire, j’espère que l’armée s’en chargera. »

    Il le prit par le bras et il partirent tout les deux.

    La semaine qui suivit, le fils embarquait sur le « Ville d’Alger. »        

     

  • Pollution

    Cette nuit là, nous avons fort mal dormi. C’était en été, au début du mois d’août, la nuit était douce,  pas trop chaude, en raison des curieuses variations de température et de climat que nous connaissons en Alsace depuis quelques années. Il n’y plus de saisons, plus de canicule en été et plus de neige en hiver.

    Nous habitons un immeuble dont une façade nous donne une jolie vue sur la Cathédrale de Strasbourg ou le Parlement Européen et l’autre sur ce que l’on appelle : « Le Port du Rhin » et sa zone industrielle.

    Comme d’habitude, j’avais tardé pour pianoter sur mon ordinateur afin d’échanger avec des amis lointains que je ne verrai probablement jamais. La fenêtre était ouverte, la nuit calme, débarrassée des nuisances sonores du quartier universitaire grâce à « Strasbourg au mois d’août ».

    Habituellement, inutile, bien entendu, de vouloir dormir la fenêtre ouverte. Les rodéos nocturnes, les querelles d’ivrognes sur le parking ou dans l’entrée d’un immeuble de studios en face rend obligatoire les doubles vitrages récemment installés.

    Nous revenions mon épouse et moi d’un voyage de trois semaines passées à Saint Julien prés de Genève et de la frontière suisse,  où nous avons pris un grand bol d’air, débarrassé le jardin de mon fils de ses haricots verts, de ses fraises et de ses salades.

    Je ne prétends pas faire de ce coin de France un éden écologique, mais bon, mon asthme me laissait en paix, la peau de mon visage ne cuisait plus et je ne souffrais plus d’allergies.

    Donc, en me glissant dans les draps, j’envisageais une nuit paisible. Je plongeais rapidement dans le sommeil en pensant au plaisir d’un réveil agrémenté de l’odeur du café frais, si joliment et si gentiment préparé par mon épouse et d’un rayon de soleil matinal plusieurs fois annoncé par les oracles météorologiques.

    Quel plaisir que d’être retraité,  d’avoir près de soi une épouse aimante et douce, d’être en paix avec les autres et avec soi même et d’attendre chaque journée qui vient comme une source de joies nouvelles et inépuisables !

    Il y a tant de choses à faire, nous sommes tout deux en bonne santé, nous aimons la lecture, les voyages, la rencontre avec les autres, avec la nature, avec les évènements. Bref pour nous, si ce n’est pas le bonheur, cela lui ressemble.

    Mais rien n’est parfait en ce bas monde et, je sais bien que notre « légende personnelle », celle qui nous met une épée dans le dos et qui nous dit : « Avance je suis au-delà ! » ne nous laisse pas longtemps vautré dans la béatitude. C’est la raison pour laquelle nous vivons au jour le jour et prenons de l’instant, ce qu’il veut bien nous donner.

    Au petit matin, un cauchemar effroyable me réveillait en sursaut. Un individu ou un animal, je ne sais plus très bien me serrait à la gorge et j’étouffais.  Une odeur acre et acide emplissait la pièce, la peau me brûlait et les yeux  me piquaient.

    Mon épouse ne dormais plus : « Le vent a tourné, me dit-elle ». Dans ce quartier nous savons tous ce que cela veut dire. Nous habitons près de  la frontière et, nous partageons avec la ville de Kehl un triste privilège : lorsque le vent souffle de France, Kehl bénéficie des fumées acides du « Port du Rhin » et c’est l’inverse lorsqu’il vient d’Allemagne.

    Le partage des vents est relativement équitable, Eole est un Dieu juste, mais les Allemands n’ont que faire de nos pollutions atmosphériques et leurs protestations régulières, même vaines, n’en sont que plus véhémentes.

    Je me levai et allai sur le balcon placé hélas du mauvais côté. Effectivement les fumées nocives étaient orientées vers nous, le ciel était rougeâtre, le soleil levant dessinait nettement, et désignait clairement, les cheminées fautives qui semblaient décharger autant qu’elles le pouvaient avant que le soleil et les hommes ne se lèvent véritablement.

    Je refermais soigneusement les fenêtres, toussais pour dégager mes bronches, me recouchais et tâchai de dormir encore un peu, je pensais à cette belle journée attendue, mais le coeur n’y était plus.

  • La Cinquième Montagne

    Je viens de relire Paulo Coelho et son ouvrage : « la Cinquième Montagne » Comme dans tous ses livres, cet auteur merveilleux nous ramène sans cesse sur le chemin de notre « Légende personnelle ». La question est de savoir s’il y a véritablement un espace pour la vivre. Si non, faut-il alors abandonner notre rêve ?

    Certains évènements sont-ils placés sur notre route pour nous faire revenir sans cesse sur le chemin de cette légende ?

    Existe t-il  sur terre un unique chemin pour chacun d’entre nous et que nous sommes seuls à pouvoir parcourir ? Pouvons nous choisir de ne pas l’emprunter ?

    Je considère pour ma part que cela ne change rien à notre situation d’être humain, que l’on croit au  destin ou à un déterminisme quelconque, que l’on y voit la main de Dieu, du hasard ou de la nécessité,

    Ce dont il s’agit c’est de changement nécessaire. L’homme doit changer en lui et dans ses pratiques, c’est incontestable ; il a comme souvent dans son histoire à nouveau le dos au mur. Il doit également faire évoluer les systèmes qu’il a contribué à ériger.

    Paulo Coehlo nous dit que « Tout l’univers conspire à nous permettre de réaliser notre désir de changement » en nous enseignant les leçons nécessaires pour nous permettre de relever les défis placés sur notre route. Il ajoute toutefois que  nous avons le choix entre changer, de part notre volonté, ou de subir le feu de la puissance divine. Dans ce cas, il nous faut payer le prix fort pour reconstruire sans que tout ne redevienne comme avant, sinon tout est à recommencer.

    La tradition, selon lui, n’est pas bonne à suivre éternellement, et ceux qui savent la remettre en cause font partager leur « Légende personnelle »  au plus grand nombre, construisent des bateaux plus rapides pour conquérir les mers, des instruments plus puissants pour se protéger, se développer et ils dominent le monde visible.

    Finalement, quel que soit notre système de pensée, notre culture, que nous soyons croyant ou athée,  socialement et collectivement, nous sommes tous étroitement dépendant les uns des autres, de nos contextes et de notre écosystème. Notre responsabilité d’être humain nous donne obligation de veiller aux intérêts supérieurs du vivant, de notre environnement et pour cela, rien ne sera possible sans un changement profond de nos attitudes et de nos comportements.

    Afin d’y parvenir, nous avons à notre disposition un certain nombre de moyens et d’outils. Les premiers d’entre eux sont : l’éducation, la formation, la socialisation.

    Les outils du second groupe consistent à revisiter nos pratiques, nos codes de conduite et réguler les systèmes sociaux, économiques, énergétiques etc. 

    Le tout est à mettre en convergence et en cohérence.

    Je partage la proposition de Grégory Bateson qui considère que : « Dans une perception écosystémique du monde, la condition sine qua non de toute vie sociale, n’est pas la compétition, mais la coopération. Mais le prix d’une telle conception du monde, c’est qu’il faut remplacer la notion d’objectivité par celle de responsabilité. »[1]

    Après avoir « subi » le monde, nous en sommes devenu responsables.

    Tant que nous nous percevrons comme des êtres séparés, de la nature, des uns des autres, de « Dieu », l’univers sera un objet exploitable, et nous serons des Homos Rafistolatus selon l’expression de Vlady Stevanovitch.

    Nous sommes entré dans une phase de l’histoire humaine ou l’homme doit changer et abandonner nombre de ses pratiques, de ses attitudes et de ses comportements.

    Nous avons les moyens de le faire, les prémices de la tragédie nous ont largement alerté et depuis fort longtemps. Nous avons ignoré les signes qui nous étaient adressés.

    Dieu, le  hasard ou la nécessité devront-ils se montrer aussi cruels que dans ces temps bibliques sur lesquels Paulo Coehlo nous invite à la réflexion. Avant lui, il y eu  Montaigne et Stephan Zweig et bien d’autres encore. Nous n’avons guère entendu leurs cris d’alarme devant la montée des barbaries.

    Pouvons nous aujourd’hui, tirer enseignements  à partir, par exemple de quelques prémices à reconsidérer :

     

    01. Nous luttons contre l’environnement.

    02. Nous luttons contre les hommes.

    03. L’individu précède le groupe, le groupe la nation, la nation l’espèce.

    04. Nous avons le contrôle de notre environnement.

    05. Nous pouvons repousser indéfiniment nos frontières intérieures et extérieures.

    06. Le déterminisme économique détermine le social, l’écologique, le vivant.

    07. Le progrès technique résoudra nos problèmes au fur et à mesure.

    08. Tout est déterminé à l’avance.

    09. Ce que nous pensons est la réalité.

    10. L’histoire se répète éternellement

    Etc.

    Inversons simplement ces axiomes pour qu’ils deviennent des « non-axiomes » c'est-à-dire des incertitudes, des systèmes ouverts vers l’avenir et nous avons notre réponse.



    [1] G. Bateson, Vers une écologie de l’esprit, P250