La célèbre phrase “la carte n’est pas le territoire” ne vient pas d’un géographe, mais du fondateur de la “sémantique générale”, Alfred Korzybski, dans les années 1930.
Elle signifie que la représentation ne peut pas être ce qu’elle représente, parce que sa fonction même est d’appliquer des filtres pour rendre cet objet intelligible.
Elle exprime un espoir : le monde est toujours plus riche que ce que vous croyez ; il existe toujours d’autres possibilités que celles que vous pouvez percevoir et même concevoir ; il y a toujours quelque chose à découvrir.
L’expression sensible du monde livrera toujours autre chose que sa simulation ou sa représentation. Mais la nouveauté d’aujourd’hui tient peut-être à ce que désormais, l’inverse est aussi vrai.
On vit dans les cartes de mondes virtuels ; on l’enrichit ; on la partage ; on la clique ; on la tisse avec le territoire sensible; on la déforme pour imaginer et débattre d’avenirs possibles…sur Facebook et bien d’autres « réseaux ».
Et ce sont nos « avatars » qui vivent et interagissent au point que nous hésitons à rencontrer « l’autre » réellement et construire du réel « avec » lui
Serions-nous l’interface intuitive entre la réalité et sa transposition ?
Voyons nous avant les autres que les anciennes représentations ne fonctionnent plus et que les nouvelles n’ont pas encore pris corps
L’art du cartographe virtuel serait il de saisir la nature des changements qui flottent encore confusément dans l’atmosphère d’une époque, de s’en emparer et par la magie de son art, entre autre de la communication, les rendre réels ?
Nous sommes devenus des « cartographes » des fabricants de territoires.
Nous inventons la réalité, voulons rendre compte du monde « nouveau » qui naît sous nos yeux, en dégager les principales tendances, les courants et contre courants.
Mais de ce magma en ébullition, nous pensons offrir une copie objective. Il n’en est rien. Nous réinventons une vision du monde.
Ce qui ne veut pas dire que notre monde n’est pas important, mais la « réalité » du monde réel est mouvante, multipolaire, complexe et elle correspond rarement avec la notre.
L’homme n’arrive pas à recréer le lien entre la carte qui figure le territoire et le territoire lui-même. Rien de surprenant : « Le mot n’est pas l’objet », comme « la carte n’est pas le territoire ».
Le monde est toujours plus riche que ce que nous croyons.
La carte donne les clés pour entrer dans le territoire et constitue une des grilles de lecture possibles pour le comprendre.
C’est une représentation située entre la réalité et l’image mentale, l’interprétation visuelle du cartographe dont le cerveau opère des choix.
Il voit le terrain et en lit les matières premières fondamentales pour produire la carte, influencé dans son approche par son système de valeurs et de connaissances.
Ce qu’il décrit n’est pas ce qu’il voit. Son « interprétation » exagère, en forçant le trait, les phénomènes qu’il souhaite mettre en valeur.
Dans sa vision du monde, l’essentiel est que l’image qu’il en donne fasse comprendre les enjeux politiques de la régulation et du contrôle d’une région, d’un groupe, représente les désirs de puissance, les alliances possibles ou incertaines, les conflits culturels, économiques, écologiques, les migrations, les occupations de territoires stratégiques ; bref, tout ce qui structure la rapide recomposition de ce monde en émergence et préfigure les conflits à venir.
De tout temps, les hommes ont cherché à représenter la réalité de leur environnement. Pour autant, toute représentation du monde ne déforme t’elle pas sa réalité ?
Un sondage d’opinion au cours d’une élection est une « carte ». Mais « la carte n’est pas le territoire ». Elle en est tout au plus une représentation ou une « perception ».
Cette carte n’offre aux yeux du public que ce que le sondeur (ou ses commanditaires) veut montrer. Elle ne donne qu’une image tronquée, incomplète, partiale, voire trafiquée de la réalité.
Voilà de quoi sonner le glas des illusions de cette partie du public qui lit la carte des sondages comme un fidèle reflet de ce qui se passe sur le terrain.
Tous ces « sondages » font l’objet d’une pensée et d’une construction minutieuses, chacun de leurs éléments étant soigneusement choisi : certains sont renforcés, d’autres disparaissent. Sur le chemin qui le mènera du territoire à sa représentation, le sondeur n’évitera pas les pièges, supprimera ou dissimulera les objets qui le gênent et en caricaturera d’autres susceptibles de servir son message
La carte offre une représentation tronquée de la réalité, sur laquelle on ne peut tout transposer. Son créateur synthétise, simplifie, renonce. Il sélectionne, de manière théoriquement raisonnée, les éléments qu’il veut cartographier, mais en réalité son choix découle de l’état de ses connaissances, de sa sensibilité et de ses desseins... Il propose un document filtré, censuré, qui témoigne plus de sa manière de concevoir le monde que d’une quelconque image transposée.
La carte, envisagée comme instrument politique, constitue par excellence le lieu de toutes les manipulations, des plus grossières aux plus subtiles. Discrète, apparemment inoffensive, elle peut ainsi se transformer en redoutable instrument de propagande que les puissances étatiques et économiques contemporaines utilisent sans scrupule pour imprimer leur vision idéologique. Les petits arrangements avec la vérité servent alors la raison d’État.
Ceux qui servent cette « raison » d’Etat sont rodés à cet exercice depuis une éternité et depuis une cinquantaine d’années les outils qu’ils emploient sont de plus en plus sophistiqués.
Alors avons-nous encore une chance de rester libres, conscients et « maneuvrants ».
Saurons-nous imposer notre vision du monde, un monde virtuel à transposer dans le réel ?
C’est le moment de se poser la question et surtout d’y répondre !
NOS réseaux seront incontournables, ils feront la différence par la connaissance des « systèmes », de leurs interactions, de la modélisation « horizontale » et à partir du « local » !
La carte mentale qui me fait « bouger » : La France peut rapidement ressembler au Liban. Dans certaines « zones » en France c’est le cas, et « l’appariement sélectif » est en cours comme dans « Le camp des saints ».
Il faut imaginer notre fin possible, en tant qu’individu, groupe, voire espèce, par simples « rétroactions »
Francis-claude Neri
http://semanticien.blogspirit.com/
11 10 20
Librement inspiré d’un article consultable dans les archives du Diplo via le lien :
http://www.monde-diplomatique.fr/2006/02/REKACEWICZ/13169